Chapeau vert, 2025 Huile sur toile, 25 x 30 cm
Chapeau vert, 2025 Huile sur toile, 25 x 30 cm

J'explore l'espace du souvenir, l'interstice entre les formes et nos liens intimes, pour susciter l'imaginaire et créer un récit parallèle à celui que nous avons vécu. Je m'appuie sur les regards, les mains et les silhouettes de mes personnages.

J'imagine un dialogue entre différentes temporalités — celle de mon enfance et celle d'aujourd'hui — que je construis peu à peu au fil de ma pensée, par l'acte de peindre. Cet espace me permet de révéler ces instants de distraction et d'absence où la pensée se mêle à une déambulation spatiale.

Je suis très inspirée par les motifs des tapis persans, les figures du Fayoum et les scènes silencieuses d'Hopper, où notre regard et notre corps se laissent hypnotiser par les formes, une atmosphère ou encore les yeux d'une figure. Cette possibilité de se perdre, de se cacher ou de se blottir dans l'œuvre est ce que je cherche à provoquer dans mon travail. La peinture à l'huile me permet d'approcher cet état d'envoûtement, à la fois sensoriel et mental.


Texte de Camille Paulhan pour le catalogue des diplômés 2022 des Beaux-Arts de Paris, Exposition « Les yeux distraits », 2022

Cela pourrait être un détail d'une photographie de famille : une main d'adulte a passé derrière le cou d'un enfant, elle pend sur sa poitrine. Le jeune garçon, affublé d'un costume d'arlequin, arbore un visage fermé, des lèvres pincées. Si la photographie était complète, peut-être ne verrait-on pas cette mine poupine aux désirs hermétiques. Dans ses peintures, Brune Doummar semble avoir toujours délibérément effacé quelques détails pour mieux nous concentrer sur d'autres : les enfants qui hantent ses toiles apparaissent par bribes, et leurs corps souvent s'évanouissent en fragments choisis. Parmi ces derniers, les yeux paraissent être tenus en haute importance par la peintre : qu'ils soient dans le vague, accusateurs, tournés vers un extérieur dont on ne discernera rien ou discrètement effacés, ils occupent tous une place de choix dans ses peintures. Le diplôme s'appelait d'ailleurs Les yeux distraits, et il faut bien comprendre cette distraction comme une absorption profonde, et non une rêverie légère.

Les scènes silencieuses de Brune Doummar sont autant d'hommages mélancoliques à la gravité de l'enfance, et si ses modèles ont été transformés en personnages de théâtre et émergent fréquemment de rideaux rappelant l'univers de la scène, c'est pour signaler que les apprentissages les plus habituels de la vie des enfants – initiation à la musique, pose pour les photographies, attente sage du goûter… – relèvent d'une comédie qui confine parfois à l'absurde. Les enfants muets de Brune Doummar ont volontiers une apparence grotesque, mais il faudrait avoir les yeux bien clos pour ne pas voir que derrière la figure du bateleur se cache souvent le saint de l'icône.

Camille Paulhan